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Parce qu’il est toujours enrichissant d’aller voir ce qui se dit ailleurs dans le domaine de l’éducation alimentaire, je me suis «sacrifiée» pour me rendre en France, plus précisément à Tours, au cœur du Val de Loire, où se déroulait la semaine dernière un colloque, organisé par l’IEHCA, consacré au «Fait maison» en cuisine. (Je sais, je fais pitié. Surtout quand on regarde ceci… !). Dans ce billet, je survole des éléments d’intérêt soulevés dans un atelier intitulé «Les enfants en cuisine».
L’atelier était animé par Jean-Pierre Corbeau, sociologue, auteur et professeur émérite de l’Université François-Rabelais de Tours. À ces côtés, deux nutritionnistes participaient aux échanges, Agnes Mignonac et Vanessa Gilbert.
Cuisiner : vecteur de saine alimentation
Chez Extenso, on insiste depuis longtemps sur l’importance d’avoir les enfants en cuisine, qu’ils participent concrètement en mettant la main à la pâte où qu’ils soient tout simplement présents lors de la préparation des aliments pour permettre des échanges et un apprentissage par observation. C’est la base de la transmission des habiletés culinaires, qui elle est à la base du développement d’une débrouillardise en cuisine. Un atout non seulement quand vient le temps de cuisiner pour les amis le samedi soir, mais aussi et surtout pour la vie de tous les jours. Savoir se débrouiller en cuisiner, c’est demeurer indépendant face au «tout fait» proposé par l’industrie plutôt que d’y dépendre en tout et en partie.
Ces notions ont été abordées lors de l’atelier, entre autres par les nutritionnistes qui ont insisté tour à tour sur le fait qu’en s’appropriant la cuisine dès l’enfance, les jeunes sont davantage en mesure de devenir rapidement des adultes autonomes et créatifs en cuisine. C’est pourquoi elles positionnent la débrouillardise en cuisine non seulement comme un vecteur de saine alimentation, mais comme un acte d’autonomie et de liberté.
Pour continuer en ce sens, Mme Mignonac relate une étude dans laquelle, assez logiquement, les adultes qui s’auto-évaluent «bon cuisinier» cuisinent davantage maison que ceux qui s’auto-évaluent moins bons, et qui ont, par conséquent, moins tendance à se mettre aux fourneaux. Or, bien que tout ne soit pas diabolique dans le prêt-à-manger, on sait toutefois qu’une alimentation préparée à la maison à partir d’aliments de base est généralement moins salée, comporte plus de fruits et légumes, plus de fibres, moins d’additifs de toutes sortes, des saveurs artificielles en passant par les colorants et autres agents de conservation. Cuisiner avec les enfants, c’est favoriser le fait qu’ils deviennent des jeunes adultes en mesure de s’auto-évaluer «bon cuisinier». On dit souvent que cuisiner est un don de soi envers les autres, mais en ce sens, Mme Gilbert affirme que c’est non seulement un don de soi vers les autres, mais également un don de soi envers soi.
Cuisine et développement du goût
En plus d’être un vecteur amusant et ludique pour aborder la saine alimentation et la variété auprès des jeunes de façon non théorique, la cuisine contribue également au développement du goût des jeunes. En effet, on sait que généralement, les enfants aiment ce qu’ils connaissent. Mme Mignonac exprime joliment ce qu’on sait déjà fort bien, soit que «quand le produit a une histoire connue du jeune, ça fait tomber des résistances». Or quelle meilleure façon de bien connaître les aliments et les plats que de les préparer et cuisiner soi-même? J’aurais envie d’aller une étape plus loin, et de proposer qu’il est également extrêmement intéressant d’impliquer les enfants dans tout l’«amont» de la cuisine (aller au marché, jardinage, visite de producteurs, etc.). Rien de mieux pour bien connaître un aliment que d’avoir vu par soi-même comment il est produit, avant d’apprendre à le cuisiner !
Cuisiner, c’est aussi «apprendre à essayer»
Un autre type d’apprentissage ayant été soulevé lors des échanges de l’atelier, c’est celui de la confiance en ses capacités. En ayant les enfants avec nous dans la cuisine, on leur insuffle peu à peu une certaine confiance en leurs habiletés culinaires. Des jeunes qui osent sans doute plus essayer de nouvelles choses. Les échanges soumettent l’idée que la confiance en soi développée en cuisine s’étend sans doute à d’autres domaines. En d’autres mots, la cuisine peut favoriser une confiance en soi non seulement culinaire, mais plus globale.
À cet égard, Mme Gilbert met aussi en garde : «C’est souvent les parents qui limitent la participation des enfants dans la cuisine, par manque de temps, peur des dégâts ou des accidents. Or les enfants sont souvent beaucoup plus capables qu’on le croit».
Cuisiner, une éducation au temps
Un des points que j’ai trouvé particulièrement intéressants dans les propos de M. Corbeau, c’est quand il aborde la cuisine comme façon ludique d’introduire une certaine éducation au temps. Il explique qu’à l’époque actuelle, les enfants ont rapidement entre les mains un téléphone intelligent ou une tablette, ils savent manier la télécommande de la télévision sur demande, ils naviguent sur Internet : en d’autres mots, ils vivent dans un mode d’instantanéité. Dès leur jeune âge, ils s’habituent à avoir tout, tout de suite. Dans ce contexte actuel d’instantanéité, «faire la cuisine, c’est un moyen de renouer avec le temps» exprime Corbeau. Quand on prépare à manger, il y a des étapes et un processus pour obtenir un résultat, il ne suffit pas d’appuyer sur «enter». «L’idée n’est pas de supprimer les tablettes, mais plutôt, en parallèle, de mettre de l’avant une source de plaisir qui permet de se rapprocher du temps», conclut Corbeau.
Apprentissages bidirectionnels
En matière d’alimentation, les parents ont à apprendre des choses aux enfants, au même titre que les enfants peuvent avoir des choses à apprendre aux parents. Par exemple, des jeunes peuvent avoir goûté des plats nouveaux chez des amis ou à l’école, et en parler avec leurs parents. Autre exemple : quand elle donne des ateliers de cuisine avec les enfants, Mme Gilbert renvoie les jeunes à la maison avec les recettes qu’ils ont cuisinées avec elle. Ainsi, ils les mangent en famille, ils racontent à leurs parents et à leurs frères et sœurs comment ils ont fait, les autres membres de la famille posent des questions, la discussion est lancée et tout le monde apprend! «Ce qui est importe, c’est que la cuisine soit un lieu de communication parents-enfants» exprime M. Corbeau, qui abonde dans le même sens.
Un rôle pour les grands-parents
On connaît la conjoncture : quand on demande aux parents leur plus grand obstacle à cuisiner à la maison, c’est le manque de temps qui ressort toujours comme enjeu principal. Les intervenants de l’atelier se basent sur cette prémisse pour entrevoir un rôle pour les grands-parents. En effet, une génération de jeunes grands-parents nouvellement retraités partage souvent trois caractéristiques favorables : un peu plus de temps, un désir de passer du temps de qualité avec leurs petits enfants, ainsi qu’un patrimoine culinaire à partager. «Les grands-parents, surtout les grands-mamans, peuvent jouer un rôle important dans l’éveil alimentaire des jeunes, d’autant plus qu’elles portent une mémoire alimentaire», résume M. Corbeau. Dans les cas où les personnes vieillissantes vivent de la solitude ou de l’isolement, créer des moments de cuisine enfants – grands-parents serait gagnant-gagnant.
Plaisir et curiosité
Cuisiner avec les enfants, c’est évidemment transmettre des trucs, des méthodes, des astuces, des idées. Mais au-delà des techniques, ce qui a le plus importance, c’est de transmettre de la confiance, de la curiosité et surtout l’envie de cuisiner. À la minute où les jeunes prennent plaisir à être dans la cuisine durant la préparation des repas et qu’ils ont envie de mettre la main à la pâte, on est sur une bonne voie.
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Vos enfants sont-ils dans la cuisine avec vous lors de la préparation des repas ?
Vous aident-ils avec la préparation des repas quotidiens ?
Cuisinent-ils régulièrement avec leurs grands-parents ?
Psst : si vous avez une recette particulièrement gagnante auprès de votre famille ou que vous aimez cuisiner avec les enfants, informez vous sur le concours de recettes de Nos Petits Mangeurs, en cours en ce moment et jusqu’au 24 novembre!