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La semaine passée, j’ai fait une petite montée de lait en écrivant ceci sur ma page Facebook:
«Ça peut être le fun de se faire livrer un repas de temps en temps. Vraiment, ça arrive qu’on file pour ça, et tant que c’est occasionnel, pourquoi pas! Mais ce slogan, que j’observe aux vitres d’un nombre grandissant de restaurants à Montréal, m’irrite. Sans doute parce que je passe mes journées à dire exactement l’inverse : Ne faites pas QUE manger, CUISINEZ aussi!»
C’était tout en nuances: se faire livrer de la bouffe de temps en temps, c’est super! Mais de là à cartonner partout dans la ville «Ne cuisinez pas», ça vient me chercher.
Une cinquantaine de personnes ont rapidement appuyé mon statut-éditorial; je n’étais pas la seule à être irritée par ce slogan.
Des commentaires ont aussi été laissés en faveur de la restauration-livraison, mentionnant qu’il existe des options saines pour lesquelles on peut opter, moyennant un coût souvent plus élevé, et que c’est faux de croire que tout le monde peut prendre plaisir à cuisiner. Des points intéressants qui méritent d’être considérés. J’apporte, dans ce billet, quelques éléments de réflexion, en prêchant évidemment pour la paroisse de la cuisine maison!
À ceux qui pourraient se dire… :
«…Oui, mais, moi je ne mange que du take-out sain.»
Bien sûr, ça existe des options saines en restauration-livraison. Et bravo à tous les commerçants qui en offrent!
Mais il demeure que ce n’est pas la règle. Il suffit de regarder les choix sur www.just-eat.com pour le constater. (Avertissement: vous vous ferez interpeller à coup de «Don’t cook tonight» et «Feed me now»). Parmi les 10 premiers restaurants de la liste que le site me génère quand je rentre mon code postal, il y a 5 restos de pizza, 4 asiatiques et 1 libanais. Se faire livrer une bonne pizz’, un général tao ou des sushis de temps en temps, c’est bon et c’est le fun! Mais entendons-nous que ce ne sont pas les repas les mieux garnis en grains entiers ou en légumes frais, pour ne mentionner que cela. Idéalement, ça reste occasionnel. Mettons qu’ici comme ailleurs (l’en-tête du site just-eat.com indique qu’ils sont en activité au Canada et dans une douzaine d’autres pays), nombreux sont ceux qui doivent avoir l’«occasionnel généreux» puisqu’on peut y lire: «With activities on four continents, more than 40,000 global restaurant partners and over 5.5 million active users with an insatiable appetite for takeaway, there’s huge potential for growth».
Vous l’avez peut-être vu, un récent clip de Michael Pollan, How cooking can change your life, aborde le sujet de la nourriture préparée par les industries. Il y a de la généralisation, car de nombreuses entreprises font des efforts pour offrir des solutions repas plus saines. Mais il demeure que la vidéo illustre de façon imagée ce qu’on mange quand on laisse le soin à l’industrie alimentaire de préparer trop souvent nos repas.
«…Oui, mais, même si la nourriture de restauration-livraison saine est parfois plus chère, ça ne me dérange pas de payer.»
Tant mieux si votre situation financière fait en sorte que le prix a peu d’importance pour vous. Il faut toutefois demeurer conscient que ce n’est pas le cas pour tous. Et il n’est plus à démontrer qu’il est plus économique de cuisiner à partir d’ingrédients de base.
«…Oui, mais, la nourriture que j’achète est bien meilleure que ce que je suis capable de préparer moi-même.»
Cuisiner, c’est comme la pratique d’un sport ou d’un instrument de musique. Si on le fait rarement, c’est possible qu’on n’ait pas de résultats très concluants, et qu’on ait moins de plaisir dans le processus. C’est comme les premières fois que j’ai fait de la planche à neige. J’ai passé plus de temps les fesses sur la piste qu’autre chose. Mais avec un peu de pratique, j’ai fini par la descendre la piste, et c’est là que le fun commence. Et c’est à force de faire des gammes qu’on arrive à jouer des morceaux complets. C’est aussi à force de cuisiner qu’on finit par mieux manier les couteaux, qu’on s’organise de façon plus fonctionnelle, qu’on est de plus en plus inspiré et qu’on obtient des résultats intéressants!
«…Oui mais, si vous aimez ça cuisiner, ben cuisinez! Mais pourquoi vous ne laissez pas ceux qui n’aiment pas ça se faire livrer ce qu’ils veulent?»
Reprenons la métaphore du sport. Un mode de vie actif, c’est sain, ce n’est plus à prouver. Toutefois, avoir un mode de vie actif, ce n’est pas facile pour tout le monde. Autant il y a des gens mordus de sport, autant il y a bon nombre de personnes pour qui c’est un défi de trouver le temps, l’énergie ou la motivation pour bouger au quotidien. Et qu’est-ce qu’on leur dit? On les encourage, on leur dit d’y aller un petit pas à la fois, on insiste sur les bienfaits d’une vie active et le plaisir à pratiquer des activités physiques, etc. On ne leur dit pas : «Vous n’aimez pas bouger? Pas de problème, restez sur votre divan, on va parler d’activité physique seulement à ceux qui y prennent plaisir». Au contraire, on continue d’en faire la promotion auprès de tous, et de trouver des façons de motiver et d’aider ceux pour qui c’est moins un intérêt à la base. Quelqu’un a déjà vu un slogan sur un autobus ou un taxi disant «Ne bougez pas, faites juste vous déplacer».
Tout comme il y a des personnes pour qui l’activité physique est moins naturelle, il y en a qui prennent moins plaisir à cuisiner. C’est normal. À chacun ses préférences! Mais puisqu’il est question de saines habitudes de vie, il y aura toujours des gens pour promouvoir le plaisir de cuisiner maison. Qui travailleront à partager des idées et des astuces pour que la cuisine maison s’insère plus facilement dans les vies occupées. Dès qu’on cuisine un repas de plus qu’on en avait l’habitude, c’est déjà un pas dans la bonne direction. Et c’est correct si la cuisine ne devient pas une passion. C’est déjà très bien si elle devient, aidé par le partage d’idées inspirantes et de trucs pratiques, simplement «moins pénible» ou un peu plus facile. Et qui sait….?
Quand je vois le fameux «Ne cuisinez pas, just eat», je pense à tous ceux qui ne sont pas des mordus de cuisine, mais qui font tout de même des efforts pour cuisiner un peu plus au quotidien, pour une tonne de bonnes raisons. J’imagine que ça doit être tentant d’avoir «l’occasionnel» flexible… J’ai le goût de leur crier «Lâchez pas!». Et comme le gars qui collait récemment la barre d’outils de Photoshop sur les pubs de H&M à Hambourg, j’ai le goût de créer un autocollant «Ne faites pas QUE manger, CUISINEZ aussi!». J’en trainerais dans ma sacoche, et j’imagine ma satisfaction à les poser sur les vitres affichant le slogan contesté. Ça serait drôle.
(Je sais. Mon autocollant demanderait une solide job de graphisme. Y’a des limites à ce que je peux faire avec Paint 😉
«…Oui, mais, je pense que malgré vos trucs, je n’aimerai jamais ça cuisiner.»
Ne jamais dire jamais! En précontemplation, on est généralement imperméable aux messages inspirants et outillants. On se répète que nous, on n’aime pas ça, et les choses ne bougent pas. Mais la journée où on ouvre la porte à envisager la possibilité de peut-être commencer à essayer de faire un peu plus de cuisine maison, soyez assurés qu’une grosse gang de nutritionnistes, de cuisiniers et de gourmands de tous acabits seront là pour partager astuces, inspiration et passion avec un plaisir contagieux! Quand on ouvre une porte, tout est possible.
«…Oui, mais, vous pensez honnêtement que vous pouvez amener les gens à aimer cuisiner alors que tout le monde court après le temps?»
Oui. Entre autres en insistant sur une bonne planification. C’est fou le temps qu’on peut gagner.
Je me réjouis d’ailleurs de la thématique choisie pour le Mois de la nutrition 2014 par Les Diététistes du Canada : Cuisinez et savourez… tout simplement! Sur leur site web, on peut lire «Aidons les familles canadiennes à cuisiner… tout simplement! Il s’agit d’une excellente façon de resserrer les liens, de mieux manger et de goûter au plaisir des aliments. Pendant la campagne du Mois de la nutrition 2014 (…) les diététistes, les experts des aliments et de la nutrition, concocteront des conseils pratiques sur la cuisine et les aptitudes culinaires».
Sachez-le: on n’a pas fini de nous entendre parler de cuisine maison!
«…Oui, mais, de temps en temps ça fait du bien de faire livrer un souper.»
Totalement d’accord!
«…Oui, mais, j’ai encore besoin d’un argument pour être vraiment convaincu.»
Quand on cherche à valoriser la cuisine maison, c’est loin d’être juste pour des questions nutritionnelles ou économiques. L’acte de cuisiner maison est également une question de transmission: la diminution de la cuisine maison au profit des aliments préparés par l’industrie a pour conséquence que les jeunes, qui apprennent beaucoup par observation et imitation, perdent ces occasions d’apprentissage. Ils sont moins débrouillards en cuisine. Quand ils partent en appartement, ils auront davantage tendance à se fier sur l’industrie alimentaire pour préparer leurs repas, avec les enjeux pour la santé que cela peut impliquer, sans parler des impacts sur le portefeuille des jeunes. On pourrait parler longuement des questions de transmission… mais ce billet est déjà assez long!
(Pour aller plus loin: Les compétences culinaires des jeunes sur le site de la Coalition québécoise sur la problématique du poids).
Promouvoir la cuisine maison, ça s’aligne aussi très bien avec la consommation responsable. Si je me fais livrer un souvlaki, je n’ai aucune idée si le poulet a été élevé de façon respectueuse envers les animaux, je me doute que les tomates ne sont pas bios, je n’ai aucune idée si les pommes de terre à l’ail en accompagnement viennent du Québec. Promouvoir la cuisine maison implique la valorisation d’un mode d’alimentation dans lequel on exerce un choix sur la qualité et la provenance des ingrédients de base qui entreront dans la composition de nos repas. Nos écosystèmes ont diablement besoin d’un nombre grandissant de consommateurs plus responsables.
«…Oui, mais, c’est bien beau tout ce discours, mais ça ne fera pas disparaître le take-out ni le «Ne cuisinez pas, Just Eat» demain matin.»
C’est sûr. Mais je me console en allant faire un tour les pages Facebook de Ricardo et de Cuisine Futée, pour ne nommer que ceux-là, qui ont respectivement 129 855 et 33 259 «likes» (au moment d’écrire ces lignes). La preuve qu’il y a des dizaines de milliers de personnes qui sont à l’affût d’idées, de recettes et d’inspiration pour la cuisine au quotidien.
Je me dis que si tout ces gens se promenaient avec des autocollants «Ne faites pas QUE manger, CUISINEZ aussi», on ferait parler de nous, et ce serait vraiment top!
Pour en savoir plus:
Pour des soupers rapides et nutritifs